L’intention, l’écoute générative, des moyens pour faire advenir le futur ?

Nous avons tous eu l’expérience de réunions, séminaires, formations où au final rien n’aura changé pour nous ou pour l’organisation. Des problèmes ont pu être évoqués, des pistes de solutions également, vous avez « téléchargé » des informations ; mais vous savez intérieurement que rien ne changera fondamentalement, le problème restera entier.

Vous avez aussi vécu, je l’espère, des réunions, séminaires, échanges, où une relation plus profonde s’est nouée entre les participants ; vous vous êtes senti plus écouté, vous avez pu être ‘plus vous-même’, sans masque, vous avez été en empathie avec les autres. Au final vous avez ressenti de la joie et vous en êtes ressorti légèrement différent. Vous avez eu le sentiment que quelque chose a émergé, une envie collective d’un futur possible où les problèmes pourront être réglés. Et vous êtes reparti avec l’énergie pour y aller.

Qu’est-ce qui a distingué ces deux types d’échanges ?

Dans la majorité des collectifs de travail, la norme implicite est de ne discuter que sur le niveau factuel et d’écarter tous sentiments, émotions qui n’auraient pas leur place ; c’est ce qui nous a été enseigné pendant toute notre éducation puis formation.

Or nous nous privons ainsi d’une source essentielle le cœur, le partage de nos sentiments profonds, de nos idéaux, de nos intuitions et de nos émotions.

Nous occidentaux avons eu tendance à séparer. Cela a été utile. Maintenant nous savons que nous touchons les limites propres à notre façon de penser : les problèmes ne peuvent être résolus avec la façon de penser qui les a générés[1].


[1]“We cannot solve problems with the thinking that created them”. A. Einstein


Nonaka, Peter Senge, Otto Scharmer sont trois penseurs inspirants, ils ont respectivement théorisé le processus de création d’une nouvelle connaissance, les conditions du dialogue et le processus d’émergence. Ils ont en commun, la vision systémique et le sens de l’unité.

Ils nous permettent de prendre conscience qu’en séparant, en se focalisant uniquement sur le partage des faits, en utilisant trop rapidement notre jugement, nous nous privons d’une source essentielle inspirante pour l’innovation, la transformation et la motivation. Nous nous privons également du sentiment profond d’être relié.

Exploiter nos capacités d’intelligence collective – comment ?

Différentes pratiques favorisent ce sentiment de se sentir accueilli, écouté, en connexion et de repartir enrichi par le collectif.

Cet article en présente deux : l’intention et l’écoute.

Aller chercher l’intention, la source

Un des premiers axes de travail quand j’accompagne des responsables dans la création d’un dispositif est d’aller chercher leur intention et de la leur faire exprimer. Quelle est leur intention transformationnelle pour leur équipe, pour leurs collègues, pour leurs clients ? Quel est l’enjeu pour eux, quelle est la source ?

Et cette intention s’appuie sur quelles valeurs, quel idéal ? Qu’est-ce qui les anime ?

Cette phase est d’autant plus essentielle quand plusieurs personnes sont à l’initiative de l’événement ou du dispositif. Ce temps de partage des intentions individuelles permet la création d’une intention collective dans laquelle chacun se sentira en accord. Cela permet à chacun d’intégrer le sens profond souhaité pour l’événement qui est comme le ‘la’ en musique, la note sur laquelle chaque membre de l’orchestre va s’accorder.

Je suis toujours surprise qu’une fois que l’intention est explicite, partagée en préalable entre les organisateurs et moi, l’événement se déroule toujours selon cette intention sans qu’il soit nécessaire de l’expliciter pendant l’événement lui-même. Elle a irrigué l’organisation, elle est portée par le dispositif. Le « miracle » ou cadeau est que résultat est alors toujours en phase avec l’intention.

Otto Scharmer, créateur de la théorie du U[1], identifie dans le leadership « un angle mort – en anglais blind spot -, le lieu intérieur à partir duquel nous agissons ».  C’est la source du leadership[2] et sa dimension invisible.

Le blind spot : lieu à partir duquel nous agissons

[1] La théorie du U est un processus de changement en 5 mouvements dont l’objectif est de passer à l’action à partir du futur émergent. La théorie du U est basée sur le postulat qu’il n’y a pas de transformation collective sans transformation individuelle et sans retourner le rayon de la conscience, qu’elle soit individuelle ou collective vers soi, comme les astronautes partant pour la lune ont retourné leurs caméras vers la Terre, donnant à voir, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la beauté et la fragilité de notre planète.   

[2] Définition du leadership par Otto Scharmer « l’essence du leadership est de modeler et de faire évoluer la façon dont les individus et les groupes abordent une situation et y répondent ».


Différents types d’écoute

Otto Scharmer préconise de ralentir pour comprendre. Il nous invite à prendre conscience de notre mode d’attention et à modifier le mode structurel d’attention que nous utilisons.

De par son expérience, il distingue 4 modes d’écoute différents, soit 4 modes d’attention et d’interaction humaines.

  • Ecoute 1 – le téléchargement : écoute qui ne fait que re-confirmer ce que je sais déjà
  • Ecoute 2 – factuelle : centrée sur l’objet. Mode d’écoute qui prête attention aux faits, aux nouvelles données, aux données ne corroborant pas ce que je connais. Ecoute à la base de l’esprit scientifique.
  • Ecoute 3 – emphatique. A ce niveau l’écoute s’approfondit. Nous passons de l’observation du monde objectif (le monde du cela) à l’écoute d’un moi vivant et évoluant (le monde du Toi, de l’autre).  Nous entrons dans un nouveau territoire de la relation. Nous oublions notre propre point de vue et commençons à percevoir comment le monde apparaît à travers les yeux d’autrui.
  • Ecoute 4 – générative. Je me sens plus tranquille, plus proche de ce que je suis réellement. Je suis connecté à quelque chose plus grand que moi. Ce mode d’écoute nous relie à une sphère d’émergence encore plus profonde, c’est l’écoute à partir du champ émergent de possibilités futures. Ce type d’écoute implique d’accéder non seulement à l’ouverture de notre cœur mais également l’ouverture de notre volonté – notre capacité à nous relier à la plus haute perspective future qui puisse émerger.

En agissant à partir de l’écoute 1 (téléchargement), la conversation re-confirme ce que vous savez déjà.

En choisissant de fonctionner à partir de l’écoute 4 (générative), à la fin de l’échange vous réalisez que vous n’êtes plus le même qu’au départ. Vous êtes passé par un changement subtil mais intense. Vous êtes reliés à un tout qui vous englobe.

Changer de mode d’attention est un voyage nous prévient Otto Scharmer. La première étape est d’être conscient de votre mode dominant.

Par ailleurs, vous l’avez peut-être expérimenté, certaines dispositions de facilitation permettent que, pendant un espace-temps déterminé, le temps d’un séminaire par exemple, vous viviez ce mode d’écoute de type 3 ou 4.

Ces dispositions comprennent le cadre et son partage, l’inclusion qui permet à chacun de se sentir accueilli,des moments de feedbacks qui vont solliciter vos ressentis, vos intuitions ainsi que d’autres dispositifs faisant appel à d’autres sens que la raison.

Et si l’innovation c’était d’abord nous ?

Pour transformer nos organisations, trouver les meilleures solutions, ce n’est pas tant d’innovations techniques que nous avons besoin, que de changements profonds en nous et dans nos comportements : comment favorisons-nous l’émergence d’un futur collectif ?, comment entrons-nous en interaction ? comment nous écoutons-nous ?

Il y a deux sources cognitives fondamentalement différentes : l’une applique les cadres de connaissances existants (téléchargement) et l’autre accède aux connaissances intérieures. Toute innovation réelle en rapport à la science, aux affaires ou à la société est fondée sur cette dernière et non pas sur le mode quotidien du « téléchargement de connaissances ».

Brian Arthur, économiste américain, cité par Otto Scharmer

Etre à l’écoute de tout notre être pour pouvoir aussi accueillir et écouter l’autre avec toutes ses dimensions est un voyage auquel nous sommes tous invités.

Et bien sûr, ne pas oublier d’être modélisant …

Le « bon manager » !

Et vous vous en pensez quoi ?

Pour en savoir plus :
Cet article a été inspiré par l’article « Eclairer l’angle mort de notre époque – résumé exécutif du livre d’Otto Scharmer – La théorie U : Diriger à partir du futur émergent ». Document téléchargeable sur le site presencing.

L’intention, l’écoute générative, des moyens pour faire advenir le futur ?